Quand passent les palombes

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La saison des palombes bat son plein. Ainsi en Armagnac du côté d'Eauze, dans une palombière en activité depuis 1968. Robert et ses amis y chassent l'oiseau bleu dans les règles de l'art et non comme un… nuisible

Sourions, nous sommes filmés… «C'est dans la lettre O de palombière qu'est cachée la caméra» indique le propriétaire du bois. Il actionne un bouton pour indiquer notre présence. Le feu reste au rouge : «Ils doivent être au travail». Travailler un vol qui s'est posé ou qu'ils espèrent poser….Dès le feu vert, nous progressons à pas de loup vers la palombière. Les œufs sont frits, le jambon fume encore et le vin est à température. Ce petit-déjeuner nous mettra en appétit pour le déjeuner avec frites sublimes et succulent poulet à la broche… En cette vieille de Toussaint, «le passage» est fréquent. Des nuées de palombes ! Robert et ses amis n'ont qu'une crainte : l'oiseau bleu sera-t-il à l'avenir déclaré «nuisible» sur l'ensemble du territoire pour cause de dégâts aux semailles ? Alors «ça canardera de partout» et «ça en sera fini» de l'art de chasser la palombe tel que pratiqué ici.

Ici c'est chez Robert bien que le bois ne lui appartienne pas. Il n'en est même pas locataire mais comme «ça se passe parfaitement bien depuis 51 ans» avec la famille propriétaire, un demi-siècle a passé sans nuages… si ce n'est de palombes ! Robert avait 20 piges lorsqu'avec un copain il a repéré ce petit bois à palombes. Le proprio d'alors, père de l'actuel, a laissé faire. Nous sommes en 68, tandis qu'ailleurs se dressent des barricades, ici se construit un embryon de palombière. Elle n'a cessé de s'étoffer depuis notamment lorsque le propriétaire a offert des parpaings pour une construction durable. Si les 760 mètres de tunnel en branchages, douves de vieilles barriques, bâches et fougères ont dû être refaits ainsi que les autres dispositifs extérieurs après chaque tempête dont Klaus, le «chœur» a tenu et tient bon. Cheminée, cuisine, télévision… Juste au-dessus de cette accueillante «pièce à vivre», au poste de guet, les paloumayres se relaient du lever à la tombée du jour. Au moindre «vol en approche», la maisonnée se fait silencieuse. Portables éteints, électricité à l'arrêt… Sauf celle qui permet au tournebroche de continuer à tourner !

Visiter l'ensemble de la palombière avec «le patron» des lieux, c'est évoquer 50 ans de passion dévorante. «Toute l'année, il y a à faire». Digne de l'entretien d'un jardin… Se souvenir de ceux qui sont passés et qui ne sont plus là, se réjouir de «la bonne équipe actuelle». Autour de Robert, ils sont quatre, deux qui travaillent encore, deux retraités. Le fils de l'un d'eux, trentenaire sportif, incarne la relève. «Un jeune super qui lui peut monter aux arbres». La dernière fois qu'il y est monté Robert a lourdement chuté, preuve que «1968 maintenant c'est loin».

L'an dernier pour les 50 ans de la palombière «nous étions 50 à table dont nos femmes auxquelles il a été interdit de cuisiner et de faire la vaisselle». Le poulet est rôti à point, le propriétaire du bois est revenu d'Eauze avec des éclairs au chocolat… Bilan de la matinée : 8 palombes à rôtir ou pour un salmis.

Ces jours prochains et les jours suivants d'autres invités attendront le feu vert sous l'œil vigilant de la caméra. Nul doute que dans cette palombière sans dortoir (»c'est un choix, on habite pas loin et puis il faut penser à la famille…»), eux aussi ne verront pas le temps passer en partageant la passion de Robert et ses amis qui vivraient si mal le (dé) classement en «nuisible» de l'oiseau bleu.