Coup de filet sur les cols

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SARE. Usotegiak maintient la tradition de la chasse à la palombe au filet. Une oeuvre d'art

Coup de filet sur les cols

Au poste de Saiberri, le rabatteur envoie les éperviers artificiels pour dévier les palombes vers les filets.()

Col de Lizarrieta, lundi matin. Henri Dutournier est sceptique. Dix heures vont sonner. « Vous entendez le bruit des feuilles ? Le vent vient du sud, on ne va pas voir beaucoup d'oiseaux. » Le président de l'association Usotegiak (littéralement, l'abri des palombes) consulte ses membres. Le début de matinée a été très calme, quelques vols au loin, mais pas de quoi s'affoler dans les filets.

La veille, c'était la Saint-Luc, le fameux grand truc, jour béni des chasseurs de palombes qui lance traditionnellement la semaine bleue. Le vent (froid) d'est s'était invité à la parade dominicale. Seuls deux migrateurs ont plongé dans la pantière. Pas de quoi préparer de salmis ou se lancer dans la commercialisation. Lundi, même butin. Personne n'ose accuser le réchauffement climatique, mais une chose est sûre, les palombes sont en retard cette année, et entre Sare et Etxalar, on n'est pas certain d'atteindre le chiffre de l'an dernier, 99 oiseaux au compteur.

Une paille à côté des « stats » des palombières qui fleurent bon l'odeur de la poudre. Et si au loin, le bruit des tirs a tendance à agacer et dévier les volatiles d'une voie toute tracée, pas question de déclencher la guerre aux chasseurs au fusil. « On oeuvre pour le maintien des chasses traditionnelles, précise Henri Dutournier. Ici, nous avons une position géographique particulière avec des filets exposés est-ouest, perpendiculaires à l'axe de migration que l'on peut estimer nord-sud. »

Xatar et karrote

Soudain, des cris viennent troubler la douce quiétude des portes de la Navarre. Ils sont suivis d'un coup de trompette (le tutua). Plus personne ne bouge. Les quatorze personnes nécessaires à la réussite d'une chasse au filet répètent leur rôle. Place aux rabatteurs perchés sur des tours qui agitent le xatar (le chiffon blanc) pour certains, le karrote pour les autres. Ressemblant à une raquette de ping-pong, le fameux karrote, peint en blanc, est un leurre simulant un épervier censé faire peur aux palombes et les orienter dans une direction bien précise.

Apeurés, les oiseaux bleus plongent dans le couloir balisé artificiellement par les rabatteurs et finissent leur course dans les filets verticaux de 15 m² tendus au pied de l'Usotegiak. Le piège parfait dans lequel les palombes ne tombent que si toutes les conditions sont réunies, peu de vent, pas de discordances dans les voix des rabatteurs, et... le bon vouloir de ces oiseaux pas tous nés de la dernière pluie.

Les vertus de la cabane

Lundi, Eole avait choisi le camp des palombes. Cinq, six minutes après le début de « l'intervention », le trapare (chef de chasse, coordonnateur), sonne deux coups de tutua. Fin de l'opération. Il est temps de sortir les deux palombes prises dans les mailles. « Toujours de la même manière, d'abord une aile, puis la tête, puis l'autre aile. »

Une procédure aussi rigoureuse qu'un déminage, sous peine de décapiter l'animal ou de briser le filet. « Certaines palombes sont données en appeau, les autres sont distribuées entre chasseurs », explique le président de l'association de Sare. L'action de chasse sera déclenchée à quatre reprises cette matinée-là. Une des plus riches de la saison. « On est 19 dans l'association, il faut préserver une certaine crédibilité, une mission de reconnaissance, on assume, on représente une société culturelle de la palombe », souligne Henri Dutournier.

Il est un peu plus de 13 heures, le vent s'essouffle un peu, et le mercure franchit les 10°. Dans la cabane, « Pottok » fait dorer les frites le temps que les filetiers chassent le destin par une partie de mus. Pour les palombes, on verra demain. « Il y a une très bonne ambiance, signale Henri Dutournier. On se construit à travers l'évolution de la cabane, c'est là qu'on se ressoude. »

Auteur : pierre sabathié
avec Jean Pouyet