Elles ont traîné en route

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NATURE. --Le comptage des palombes 2006 se termine avec moins de 2 millions d'oiseaux ayant franchi les Pyrénées. La saison a, certes, été particulière mais le Sud est-il toujours si attractif ?

Elles ont traîné en route

:Pierre Verdet

 

 


A Arneguy, comme dans le reste du Pays basque, il a manqué beaucoup de palombes à l'appel cette année 
PHOTO J.-L. DUZERT 

Les paloumayres se souviendront de l'automne 2006. Au soir du 18 octobre, autrefois fameux pic migratoire de la Saint-Luc, on n'avait comptabilisé que 14 380 palombes au Pays basque sur les sites d'Arneguy, de Banca, de Sarre et d'Urrugne, et 40 000 en Haute Soule, à Iraty. De quoi se poser quelques questions d'autant que le temps était beau, quasiment idéal pour voir du passage. Mais on n'imaginait pas que cet été indien dont nous profitions pleinement dans le Sud-Ouest était quasiment le même, là-haut, au départ de la route des palombes, en Scandinavie ou en Russie. Une véritable bulle d'air chaud s'était installée sur toute l'Europe et donnait envie aux oiseaux bleus de traîner en route. 
Il fallut ainsi attendre le 25 octobre pour qu'une grosse vague déferle pendant quatre jours sur la région. Cette fois, les palombes avaient senti venir le rafraîchissement qui allait traverser l'Europe du Nord et l'Europe centrale, avec des tempêtes de neige et de fortes gelées jusqu'en Allemagne. Ainsi, à la fin de ce premier grand rush, le 30 octobre, les compteurs du Gifs (Groupe d'investigations sur la faune sauvage), installés au Pays basque, avaient commencé à bien remplir leurs cahiers avec 811 000 palombes, alors qu'à Iraty on était à 150 000, ce qui était déjà très honorable comparé à de récentes saisons. Mais il était évident que de nouveaux déballages allaient suivre. Ce qui fut enfin le cas le vendredi 3 novembre, avec plus de 400 000 oiseaux fonçant au-dessus des Pyrénées après avoir été bloqués par des journées de brouillard interdisant tout passage sur la chaîne. 


Stabilité du couloir central. On pensait que ce mouvement final allait se poursuivre plusieurs jours en raison du beau temps mais, cette fois, ce fut la déception. Les passages diminuèrent très vite pour se terminer sur une estimation totale de 1 600 000 oiseaux passés en Espagne via le Pays basque et Iraty, contre plus de 2 millions en moyenne. De quoi s'interroger, d'autant que les chiffres des compteurs « Sud-Ouest », à l'ouest et surtout à l'est de notre zone, sur le couloir oriental, ont été mauvais cette saison. A Saint-Etienne-de-Villeréal, par exemple, à la limite du Lot-et-Garonne et de la Dordogne, on est passé de plus de 40 000 palombes en 2005 à 8 800 cette année. Ne parlons pas du Gers avec à peine plus de 1 000 oiseaux. A Biscarrosse, la saison a été médiocre aussi avec 5 000 palombes au total. Ne reste que le fameux couloir central où les comptages restent stables, comme à Pressignac-Vicq, en Dordogne, avec 32 300 oiseaux, à Grignols avec 48 000, à Luxey 17 000, ou à Orthez 79 000. Mais on a remarqué cet automne que ce couloir passant par le centre de la Dordogne, pour glisser entre l'est de la Gironde et l'ouest du Lot-et-Garonne, avant de traverser les Landes et descendre à l'ouest de la chaîne, s'était encore resserré. Attention, il n'en passe pas davantage dans cette bande de moins de 30 kilomètres de largeur par endroit. Non, le passage s'y maintient simplement, confirment les paloumayres en place depuis des dizaines d'années et qui tiennent leurs carnets de palombière à jour. Il est évident que l'on est loin de l'époque où des vagues bleues s'étalant du littoral atlantique au Gers déferlaient le même jour sur le Sud-Ouest... 


Le Sud n'est plus ce qu'il était. Il ne faut plus rêver, néanmoins depuis quelques saisons les effectifs étaient stables, alors comment expliquer cette baisse ? « Il est trop tôt pour fournir une réponse sérieuse, il faut au moins attendre les résultats des comptages dans la péninsule Ibérique, affirme Richard Beïtia, directeur des services techniques de la Fédération des chasseurs des Pyrénées-Atlantiques. De plus, si les chiffres sont effectivement en baisse dans les cols, il faut savoir que toutes les grandes réserves des Landes, du Béarn et du Gers sont pleines d'oiseaux. Alors il n'est pas impossible que dans les prochains jours, un dernier gros passage se produise sur la chaîne d'autant que ces réserves se sont remplies de bonne heure, peut-être avec des oiseaux qui n'étaient pas destinés à hiverner dans le Sud-Ouest. D'une façon générale, on peut se demander si les palombes ont toujours autant envie d'aller passer l'hiver dans la péninsule Ibérique? Là-bas, la fameuse dehesa, leur offrant les glands de chêne vert et de chêne-liège s'est considérablement réduite et ce n'est pas le réchauffement climatique qui va les forcer à poursuivre leur route traditionnelle. La migration est en train de se modifier, c'est la seule certitude que nous avons. Il suffit d'observer ces fameux mouvements de recul désormais quotidiens. » 
Chaque matin, en effet, des paloumayres comme notre compteur d'Orthez voyaient d'énormes vols foncer vers les cimes pyrénéennes, et chaque après-midi, des bandes plus dispersées revenaient vers les Landes. Pourquoi les oiseaux partis ainsi pour hiverner en Espagne et au Portugal hésitent-ils soudain et décident de rebrousser chemin ? Visiblement, l'appel du Sud n'est plus ce qu'il était et le pigeon ramier est un oiseau qui s'adapte en permanence à son environnement. 

« Ce n'est pas le réchauffement climatique qui va les forcer à poursuivre leur route traditionnelle »