L'oiseau bleu traîne

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PALOMBES. --Le réchauffement climatique retarde le voyage des oiseaux migrateurs vers leurs zones d'hivernage

L'oiseau bleu traîne

:Pierre Verdet

 



Cols pyrénéens. Les compteurs, comme ceux du poste de Banca au Pays basque, sont aux premières loges pour observer le retard des passages de palombes 
PHOTO JEAN-LOUIS DUZERT 
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C'est de plus en plus une évidence : la hausse des températures influe fortement sur le comportement des oiseaux migrateurs devant rejoindre chaque automne leurs zones d'hivernage sudistes. Cette année, la migration des palombes, oiseaux emblématiques du Grand Sud-Ouest s'il en est, met particulièrement le phénomène en lumière. Le traditionnel pic migratoire de la saison, fixé par les anciens le 18 octobre, soit le jour de la Saint-Luc, qui rime si bien avec grand truc, n'a pas encore eu lieu. 
La première grande vague des oiseaux bleus n'a commencé que la semaine dernière, le 25 octobre, alors qu'en moyenne elle déferlait il n'y a pas si longtemps entre le 10 et le 15 du même mois. Ce n'est pas une impression, les statistiques réalisées par les techniciens du Gifs France, (Groupe d'investigations sur la faune sauvage), à partir notamment des comptages effectués dans les cols du Pays basque, démontrent que le pic migratoire des pigeons ramiers qui se situait entre le 23 et le 28 octobre de 1999 à 2002, a reculé depuis entre le 30 octobre et le 6 novembre. 
« La migration prend du retard », confirme Richard Beïtia, le directeur des services techniques de la Fédération des chasseurs des Pyrénées-Atlantiques. « C'était une tendance depuis une dizaine d'années mais, depuis cinq ans, cela devient une habitude. On peut estimer qu'au 31 octobre il est passé sur les Pyrénées moins de la moitié des populations de pigeons ramiers hivernant dans la péninsule Ibérique, et d'importants effectifs de grives stationneraient encore aux Pays-Bas. On peut donc s'attendre à un grand rush de palombes dans les prochains jours, lorsque les conditions climatiques seront idéales, ciel dégagé et vent porteur, comme cela se passe tous les ans désormais. » 


Trois vagues. En 2005, les palombes avaient déferlé en trois vagues, comprenant chacune plus de 500 000 oiseaux, entre le 24 et le 26 octobre, puis le 3 novembre et enfin le 6 novembre. Cette année, elles risquent fort de ne pas être plus en avance, même si l'arrivée d'un front froid risque de les bousculer dans les prochains jours. 
« La bulle d'air chaud qui a collé à l'Europe centrale et à l'Europe du Nord pendant tout le mois d'octobre et qui permettait aux oiseaux de musarder dans la douceur en complétant leurs réserves énergétiques en vue du grand voyage, vient d'éclater », explique Claude Feigné, l'ornithologue du Parc naturel régional des Landes de Gascogne. « Il a neigé et il fait 15 en Suède, alors qu'il y a quelques jours il faisait 20 degrés en Finlande ou en Russie. Le mouvement risque donc de se précipiter, les oiseaux passant directement de l'été à l'hiver, mais cela ne change rien au phénomène que plus un scientifique ne peut nier aujourd'hui. Il y aura des exceptions, car le dérèglement climatique comprend des événements météorologiques extrêmes, ce qui signifie qu'une année il pourra faire 10 degrés en octobre alors que la précédente on se sera encore baigné à la Toussaint, mais en moyenne les pics migratoires d'oiseaux comme les palombes ou les grues vont être considérablement retardés. » 


Inquiétant pour l'avenir. « Toutes les observations de nos ancêtres pendant des siècles, qui avaient permis de donner le jour à des dictons comme celui de la Saint-Luc, ont été balayées en vingt ans, poursuit Claude Feigné. Bien sûr, il ne s'agit que d'histoires d'oiseaux, mais ce n'est pas très rassurant pour l'avenir de la planète en général. Les migrateurs qui survolent et vivent dans de nombreux pays, pour aller passer l'hiver ou se reproduire, sont des modèles particulièrement intéressants pour évaluer les bouleversements climatiques en cours. Et tous les spécialistes sont frappés par l'accélération du phénomène. »
Les oiseaux s'adaptent au réchauffement climatique. Pourquoi se lanceraient-ils dans de grands voyages à hauts risques vers le Sud, s'ils trouvent une météo estivale et de la nourriture en abondance plus au nord ? Les palombes comme les grues ont un grand pouvoir d'adaptation. En attendant, les paloumayres se demandent pourquoi leurs ancêtres installaient des poêles à bois dans leurs cabanes.

Le cas des grues 

 

Le cas des grues, autres oiseaux symboliques dans notre région, est également édifiant. Les ornithologues constatent qu'elles arrivent chez nous 20 jours plus tard qu'il y a 20 ans et remontent trois semaines plus tôt vers leurs lieux de nidification. « Cet automne, au 31 octobre, à peine 1 % de la population a franchi la chaîne pyrénéenne alors que les grues passent normalement à partir de la moitié du mois, précise Claude Feigné. Pour le moment, elles se trouvent au bord de la Baltique, en Allemagne, ou près du lac du Der, en Champagne-Ardenne. On peut imaginer qu'à moyen terme, plus une seule de ces grandes migratrices n'ira hiverner en Espagne. »